15- Les vestiges
Quelques vestiges
de l’enceinte de Thiers
restent visibles.
Ce mur murant Paris ne rend plus Paris murmurant depuis longtemps
Outre la rue militaire qui est devenue les boulevards des Maréchaux, quelques vestiges des fortifications susistent encore aujourd’hui. Certains ne sont pas visibles comme cette base de l’escarpe nord du bastion n° 54 mis à jour
dans le poste de transformation souterrain Foch, boulevard de l’Amiral Bruix. D'autres, comme la rue du Général Humbert, dans le XIVe n'apparaissent que sous la forme d'une rue en épousant parfaitement le tracé de l’ancien bastion n° 76.
Rechercher la moindre trace de ces enceintes nous permet de montrer notre attachement à ces ouvrages défensifs (et fiscaux) que l’on voudrait protéger et mettre en valeur. À l’heure du Grand Paris, où les limites de la ville sont remises en question, devra-t-on également préserver le boulevard périphérique appelé à son tour à devenir un marqueur historique de l’emprise de la ville ?
« Il faut toujours se méfier des enceintes historiques dans la capitale.
Même détruites, leurs vestiges ensevelis, elles finissent souvent par se rappeler au bon souvenir du Paris d’aujourd’hui. »
Françoise Dargent
En 1985, pendant des travaux sur le réseau électrique, c’est le bastion 54 de l’enceinte de Thiers qui est mis au jour place du Maréchal-de-Lattre-de-Tassigny, XVIe. Preuve que quand il n’était pas nécessaire de démolir jusqu’aux fondations ou au fond des fossés, de grandes parties des fortifications sont susceptibles d’apparaître, à peu de profondeur sous le niveau de sol actuel.
Le bastion n° 45 (parement extérieur) dans le jardin Claire-Motte, rue Albert-Roussel (XVIIe) a simplement été remblayé à mi-hauteur lors du démantèlement de l’enceinte de 1840. Il n’a donc jamais totalement disparu et a d’ailleurs longtemps préservé une zone qualifiée par divers auteurs de « cour des Miracles ». Il a servi de mur de soutènement aux magasins des décors de l’Opéra Comique, et se trouve au cœur de l’îlot confié à Christian de Portzamparc, à la limite entre le boulevard Malesherbes et le boulevard périphérique. Ce vestige propose un passé à ces terrains nouvellement aménagés en dégageant des fondations sur près de quatre mètres, et en laissant apparaître dans le revêtement de sol les contreforts maçonnés qui scandent l’arrière du bastion.
Le bastion n° 44 derrière les ateliers Berthier (ex entrepôt de décors de spectacle construit en 1895 par Charles Garnier pour l’Opéra de Paris) la salle des Ateliers Berthier, située boulevard Berthier (XVIIe), a été transformée en salle provisoire à l’Odéon en 2003. Ce long mur remblayé à mi-hauteur était visible autrefois du train qui passe à proximité. C’est ainsi que j’ai découvert les fortifications !
Contreforts, parement et fondation du mur et de la courtine reliant les bastions nos 25 et 26, avenue Jean-Jaurès (XIXe). Les vestiges mis au jour ont confirmé la présence de la face septentrionale du bastion identifié comme le n° 25, de la courtine le reliant au bastion n° 26, et des contreforts qui les scandent à l’arrière côté ville. La totalité du terre-plein défensif a disparu et la muraille apparaît conservée sur 4 mètres de hauteur (sur un total de 10). Il a pu être constaté que les travaux de démolition du rempart se sont bornés à retirer une hauteur de maçonnerie suffisante pour araser le terre-plein. Le reste du dispositif observable est limité au fossé. Pour la première fois, l’agencement de la base de la muraille a pu être étudié.
Poterne de Montempoivre entre les bastions nos 7 et 8. Cette petite porte permettait le passage de la ligne de Petite Ceinture mise en service en 1863. Ce passage du chemin de fer de Vincennes a laissé place à la coulée verte René Dumont en tranchée d’où l’on peut encore admirer les tunnels, par lesquels sortaient les trains de Paris à travers les fortifications sous le boulevard Soult, pour déboucher sur Saint-Mandé.
Les deux courtines des quais de la Charente et de la Gironde le long du canal Saint-Denis sous le boulevard Macdonald permettaient le passage fluivial à travers les fortifications.
par Alfred Delvau, 1865
Le chemin qui y mène, — c’est-à-dire les quelques rues qui partent du boulevard de l’Hôpital et aboutissent à la barrière des Deux-Moulins, — est bordé de maisons basses, bâties comme pour l’amour de Dieu, avec un peu de plâtre et beaucoup de boue. Cela ressemble plus à des huttes de Lapons qu’à des habitations de civilisés : maisons de petites gens, en effet, que ces maisons-là !
Tout ce quartier, d’ailleurs, a une physionomie bien tranchée, — si tranchée même qu’on ne dirait pas qu’il fait partie du Paris de 1859, du Paris élégant, du Paris de la Chaussée-d’Antin, du Paris de Notre-Dame de Lorette. C’est le jour et la nuit, c’est la soie et la bure, l’eau de lavande et l’eau de ruisseau. Les habitants de ce pays-là ne s’occupent pas des habitants des autres pays, — je veux dire des autres quartiers. Ils ont leurs mœurs à part, leur besogne à part, leurs peines à part, — et aussi leurs plaisirs.
Ainsi, quand vient le dimanche, toute cette population de tanneurs et de chiffonniers, de blanchisseuses et de cotonnières, se débarbouille un peu, s’attife, se pomponne, se pimpreloche, et tout cela, — femmes, enfants et vieillards, — se répand dans les guinguettes d’alentour, chez les brandeviniers de la barrière de Fontainebleau et de la barrière des Deux-Moulins. Les jeunes, mâles et femelles, vont « pincer un rigodon » à la Belle-Moissonneuse ; les vieux et les autres vont chez Aury ou chez Flamery, les Richefeu et les Desnoyers de ces parages.
Beaucoup aussi vont chez la Mère Marie, — un marchand de vin qui vit sur une vieille réputation.
Ce cabaret-là est plus engageant que les autres. Il n’y a pas, comme chez les voisins Aury et Flamery, des salons de cinq cents couverts ; on n’y fait pas noces et festins ; mais, ce qui vaut mieux, on y boit et l’on y mange sous le plafond du bon Dieu, sous les arbres !
Il vous a une physionomie engageante au possible, ce cabaret des anciens jours ! Tables rustiques, un peu vermoulues, sur lesquelles pleurent de temps en temps les acacias qui les entourent, et que commencent à secouer les premières bises d’automne ; puis, accoudés sur ces vieilles tables, bruyants et joyeux, des beuveurs de tout âge et de tout sexe, ouvriers et ouvrières, soldats et soldates, vieux et jeunes couples, des invalides de la vie et des invalides du sentiment, des passés et des futurs, des existences ébauchées et des existences finies ! Les brocs se succèdent avec rapidité, les verres s’entrechoquent, les gibelottes s’engloutissent, les rires des vieux se mêlent aux pleurnichements des marmots, les jurons s’accouplent aux baisers, la santé trinque avec la sénilité, — et l’oubli descend sur toutes ces cervelles, un oubli de quelques heures.
Car ce n’est pas de la joie seulement qu’on vient chercher sous ces arbres, en face de ces pots de faïence et de ces verres à facettes grossières, — miniatures des tonneaux des Danaides ; on y vient chercher le repos de la fatigue des six jours de la semaine, l’oubli des misères de la mansarde et de l’atelier. Pour quelques groupes heureux, composés du père, de la mère et des « mioches », il y a là aussi, comme dans tous les cabarets du monde, des groupes d’ivrognes endiablés qui viennent noyer leurs soucis dans des flots de vin bleu. « Encore une minute d’attention, et tu vas voir la bestialité dans toute sa candeur, » — dit Méphistophélès à Faust, dans la scène de la taverne, quand les étudiants commencent à se griser. Encore quelques instants et quelques litres, et vous allez assister au naufrage de toutes ces pauvres raisons, déjà bien chancelantes ! Des querelles vont naître, sous n’importe quel prétexte ; la colère va monter, les injures et les coups vont s’échanger, — non pas dans le cabaret de la Mère Marie, mais sur le boulevard, dans la boue… Ainsi finira ce dimanche !
[…]
Hélas ! ce brave cabaret sera peut-être démoli un de ces quatre matins, — avec le mur d’enceinte.
Comme Flameng a bien fait de faire son portrait !