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Histoire des fortifications de Thiers 1-Introduction

Les projets qui s’y sont succédé jusqu’à la création du boulevard périphérique.

La Voiture Fondue, sur la zone de la porte d’Orléans, par Robert Doisneau, 1944

Un anneau de 35 kilomètres de longueur et de 400 mètres d’épaisseur

Pendant de nombreuses années je pris le train quotidiennement en direction de la Gare Saint-Lazare. À l’approche de Paris, dès que je passais le dernier méandre de la Seine, pénétrant ainsi la plaine de Clichy, je mettais mes sens en éveil pour ne rater en aucun cas ce seul petit plaisir que pouvait me procurer le train de banlieue. Je guettais l’approche du périphérique avant le passage des Maréchaux. La “vision” allait poindre, fugace : perpendiculairement aux voies de chemin de fer, s’étendait un mur d’apparence ancienne.
Que pouvait être cet ouvrage de 300 mètres de long qui semblait enfermer deux bâtiments du XIXe siècle ? Intrigué, je me décidai enfin à l’examiner de près et lorsque je découvris dans la pierre, gravée comme un testament : « bastion n° 44, construit en 1841-1842 », j’entrepris d’en apprendre davantage.

Quel rapport avec le Périphérique tout près ?
Pourquoi cette enceinte majestueuse enveloppait-elle l’espace de sa présence, résonnant comme un écho de mémoire ? Les questions sans réponses animaient la toile de mes pensées, comme une fresque où l’histoire et le mystère se mêlent dans une danse éternelle.

Laurent Baziller

Un incroyable cimetière de projets

L’histoire de Paris est une histoire lente, faite de conflits.

Elle se déploie sur des théâtres parfois très lourds comme celui de cet anneau occupé pendant plusieurs décennies par les fortifications dites d’Adolphe Thiers, ministre de Louis-Philippe, construites entre 1840 et 1844, puis désaffectées et détruites de 1919 à 1929.

Bien que couteux et obsolète, le choix de ces fortifications s’explique aussi par le fait que la grande majorité des parlementaires gouvernementaux qui interviennent dans ce débat de la première moitié du XIXe siècle, sont des militaires ou d’anciens militaires, qui appuient leur raisonnement sur des arguments d’autorité et de compétence technique.

Un seuil annulaire entre Paris et la banlieue

Une scène architecturale et un lieu assez étrange

Il coïncide encore aujourd’hui avec la ceinture d’habitations de briques rouges, des anciens bastions et de l’anneau du boulevard périphérique bordé d’équipements publics et d’ensembles modernes.
Transformée par le périphérique ouvert entre 1956 et 1973, la ceinture de Paris constitue aujourd’hui une extraordinaire scène architecturale et un lieu assez étrange. Cette ceinture aura été pendant toutes ces décennies, une espèce d’incroyable cimetière de projets, de rêves et de tentatives politiques avortées. Depuis l’enceinte de Charles V jusqu’à celle construite dans les années 1840, Paris se développe de l’intérieur en poussant sur ses limites successives. La dernière enceinte qui précédait celle de Thiers, était l’enceinte des Fermiers Généraux créée dans les années 1780.
Avec l’annexion des terrains situés à l’intérieur du mur, la ville voit sa superficie doubler de 3 300 à 7 000 hectares et sa population augmenter de près d’un demi-million d’habitants

L’histoire des “fortifs” en 10 dates

31 mars 1814, les troupes russes entrent dans Paris, Napoléon abdique.

13 janvier 1841, Adolphe Thiers, fait voter un crédit de 140 millions pour doter Paris d’un nouveau système défensif.

De 1841 à 1844, 45 000 ouvriers sont à l’œuvre sur le chantier des “fortifs”. Paris double sa superficie et gagne près de 350 000 habitants, mais l’enceinte se révèle être immédiatement obsolète.

11 décembre 1852, ouverture de la ligne de Petite Ceinture. Elle permet de relier entre eux les bastions avec un mouvement rapide des troupes, puis est consacrée au trafic de marchandises avant d’être ouverte à celui des voyageurs.

1er janvier 1860, annexion des communes contenues à l’intérieur du mur.

13 septembre 1870, Napoléon III est capturé à Sedan et capitule, une république est proclamée. La capitale est transformée en un camp retranché et tient le siège quatre mois. Mai 1871, la Commune s’y retranche 70 jours face aux Versaillais.

1884, premiers projets de démantèlement. L’un d’eux prévoyait une couronne continue de parcs autour de Paris.

19 avril 1919, vote de la loi qui annonce la démolition des “fortifs”, opération qui dure jusqu’en 1930.

19 mars 1925, un décret sur la zone de servitude militaire prévoit le rattachement à Paris des territoires de la zone non ædificandi.. Elle sera abrogée le 17 février 1953.

1956-1973, travaux de construction du boulevard périphérique. Dès 1940, s’imposait l’idée du doublement de l’ancien “boulevard militaire” par l’établissement, sur les terrains zoniers rendus disponibles, d’une nouvelle rocade destinée à assurer la circulation de transit et déjà baptisée “boulevard périphérique”.

Ce fameux « Mur murant Paris, qui rend Paris murmurant »

Ce n’était pas un mur défensif, mais un mur d’octroi. Sa désaffection, lorsque la nouvelle enceinte est créée, va développer autour de lui un nouveau tissu urbain particulier, que l’on trouve aujourd’hui pour l’essentiel au droit du viaduc du métro aérien. Il en ira de même avec la ceinture de Thiers, lorsque l’enceinte des Fermiers Généraux sera détruite.

« Nous avons vu que l’embastillement décidera l’invasion et le siège de Paris. Dans ce cas, c’est lui qui supportera toutes les calamités d’un siège, peut-être la famine et la peste, peut-être le pillage et l’incendie »

Étienne Cabet, Le National

Projet dénué de toute référence urbanistique, la construction des fortifications de Paris illustre de façon exemplaire la façon dont des travaux d’essence militaire, dans un espace rural, conditionne durablement la structuration et la croissance de l’agglomération parisienne.

En s’arrêtant aux fortifications en 1860, Paris s’agrandit avec les nouveaux territoires, mais ignore la banlieue.