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9-Les projets de cités-jardins

Il faudrait empêcher que l’on construise ces abominables maisons à étages qui feraient une ceinture de pierres à la ville de Paris, alors qu’il lui faut une ceinture de fleurs. Georges Benoit-Lévy

Projet entre la porte des Ternes et la porte de Courcelles. Par Louis Dausset

Le conseil supérieur de la guerre accepte finalement de démanteler la partie ouest de l’enceinte, ce qui explique le projet de Hénard sur le Bois de Boulogne.

Entre 1908 et 1911, deux schémas s’affrontent. Celui de Hénard, avec l’idée de casser la continuité de l’enceinte et de créer de grands parcs qui s’intercaleraient entre le Parc Montsouris, les Buttes Chaumont et la banlieue, et le projet du conseiller municipal Louis Dausset (voir son rapport présenté en 1910 plus bas) qui consiste à faire une ceinture d’habitations et une ceinture de jardins, ce qui va à peu près se réaliser plus tard.

Une partie des propriétaires fonciers parisiens protestent contre ce projet qui aboutirait à mettre sur le marché une trop grande quantité de terrains à bâtir et qui dévaloriserait les propriétés existantes. Il y a donc des conflits entre techniciens, forces politiques, civils et militaires, mais aussi entre différentes fractions de la propriété immobilière parisienne.

Le Bois de Boulogne

Vers 1850, Napoléon III, revenu de son exil londonien, veut pour Paris une promenade qui surpasse les fameux parcs anglais. Alphand constitue alors une équipe composée d’architectes sous la direction de Davioud et de paysagistes sous celle de Barillet-Deschamps, qui donneront à la forêt de Rouvray ses lettres de noblesse, en devenant le Bois de Boulogne.

Rapport de Louis Dausset sur le projet de budget pour 1911, présenté le 25 décembre 1910

Pour être l’objet de nos préoccupations constantes, la question des fortifications et de leur transformation ne doit pas nous empêcher d’en étudier et d’en résoudre d’autres […]. Car, tandis que nous nous absorbons uniquement dans les transformations et les embellissements de Paris, les communes suburbaines qui sont venues s’accrocher en quelque sorte à son enceinte se développent avec une rapidité toujours plus grande. […]. Nous ne pouvons nous désintéresser du sort de ces petites villes dont plusieurs sont devenues plus importantes que beaucoup de chefs-lieux de départements, et qui font en réalité corps avec Paris dont elles ne sont séparées que par le mur, le fossé d’enceinte et la zone militaire appelés à disparaître dans un avenir que nous espérons très prochain. De telle sorte que, sans même envisager l’annexion possible de tout ou partie de ces communes à Paris […], il est permis de prévoir l’époque où […] ces agglomérations juxtaposées à la capitale constitueront une sorte de plus grand Paris formant un tout qui ne devra comporter aucune partie disparate. Mais, pour arriver à ce résultat, il est grand temps de modifier l’état de choses actuel, qui n’a que trop d’analogies avec la situation de la banlieue limitrophe de Paris au moment de la dernière annexion de 1859. Comme à cette époque, les communes suburbaines sont d’immenses faubourgs de la capitale qui leur a donné naissance. Tous les intérêts gravitent autour de Paris où travaille d’ailleurs la majeure partie de leurs habitants. Que deviendraient-elles sans Paris centre des affaires, des occupations de toute nature, des délassements, des théâtres, des plaisirs ? Or, pas plus qu’avant 1859, les communes de la banlieue ne songent à combiner leurs efforts et leurs travaux de voirie […]. D’ailleurs à cet égard nous sommes devancés par la plupart des grandes villes du monde civilisé, qui toutes se développent aujourd’hui rationnellement suivant un programme préconçu […]. Paris et sa banlieue forment une agglomération de 3 500 000 habitants environ ayant les mêmes intérêts au point de vue de la circulation, de l’hygiène et de l’esthétique. Il est donc indispensable d’entreprendre, sans plus tarder, une étude documentée, méthodique et complète, de manière à adopter et à suivre une ligne de conduite générale. […] Que M. le préfet de la Seine […] crée donc au plus tôt une commission composée à la fois d’artistes renommés, de représentants du Conseil municipal et de l’Administration et que cette commission, aussitôt constituée, travaille à élaborer les conditions du concours à établir pour dresser le plan d’extension de Paris.

Rapport général… sur le projet de budget supplémentaire de 1910 et le projet de budget de la ville de Paris pour 1911 (conseil municipal de Paris, 1910, n° 91), Paris, Imprimerie municipale, 1910, p. 189-190, 192.

Vers le Grand Paris ?

En 1913, un premier plan d’extension sérieux est fait pour Paris (voir ci-dessous). Ce plan est élaboré par Louis Bonnier, architecte voyer et Marcel Poëte, historien de Paris. C’est un projet dans lequel les deux commissaires imaginent la création de villes nouvelles à La Courneuve et à Rungis. Le département achètera les terrains qui serviront ici à un parc, ici à un marché. Ils reprennent le projet de Dausset qui est un anneau continu de jardins. Les partisans du mouvement pour la cité-jardin se battant et agissant contre l’idée d’un mur continu de maisons.

Considérations techniques préliminaires, par Louis Bonnier

Après tant de travaux, tant de dépenses, de démolitions, de bouleversements et de percées, la fin n’est pas atteinte. Les promenades et les rues sont insuffisantes. Mais ce serait ne tenir aucun compte de la réalité que de vouloir les considérer dans les limites trop étroites du territoire administratif de la Ville. L’agglomération parisienne déborde bien au-delà des fortifications ; la banlieue qui les environne se peuple de plus en plus […]. Le plus grand Paris, son réseau de rues, de routes, de chemins de fer, de tramways, d’égouts, de canalisations d’eau, ses maisons et ses cours, ses jardins publics ne doivent pas se former au hasard, sans direction d’ensemble, sans coordination et notamment sans liaison entre les deux parties de l’agglomération, encore séparées aujourd’hui par les fortifications. Une loi prussienne de 1911 vient justement de créer le “grand Berlin”, sorte de fédération groupant avec la capitale allemande les agglomérations qui se sont développées autour d’elle […].

Or, il existe un “grand Paris”, constitué à l’avance, pourvu d’une organisation administrative complète : le département de la Seine, que les Allemands eux-mêmes rapprochent de leur “grand Berlin” et qui pourrait être également comparé pour son étendue au comté de Londres. Le département de la Seine, dont le territoire couvre 47 389 hectares, paraît fournir le cadre naturel d’un plan d’extension : celui qu’Haussmann avait déjà entrevu il y a une soixantaine d’années.
Ibid., p. 94-95
Il importe de profiter de l’expérience passée, d’éviter les erreurs d’autrefois. […] Sous la monarchie de Juillet, on avait, semble-t-il un préjugé contre l’espace libre, – l’horreur du vide, sans doute –, on encourageait avant tout la construction de nouvelles maisons. […] Une erreur semblable sera évitée lors de la suppression de l’enceinte fortifiée actuelle. Là encore, nous trouvons une importante couronne d’espaces découverts, une couronne incomparablement plus large et plus grande que les précédentes […]. On ne laissera pas cette fois gaspiller une telle richesse.
Ibid., p. 98-101
Ces forts occupent des régions élevées, à l’abri des brouillards et des fumées, et leurs emplacements sont tout désignés pour des promenades publiques. Leur étendue, double ou triple de celles de nos plus grands parcs intérieurs, conviendrait excellemment à des jardins périphériques ; elle est presque équivalente à celles des espaces libres qui marquent les limites du comté de Londres […]. Elle dépasse la superficie des plus vastes parcs de Berlin. […] Ainsi encadré, doté des jardins publics dont nous avons esquissé un plan d’ensemble, le département de la Seine, le plus grand Paris, n’aurait rien à envier aux villes de l’étranger.

Commission d’extension de Paris, op. cit., p. 45-47.

Georges Benoit-Lévy, à l’origine du mouvement des cités-jardins écrit en 1907 : « Il faudrait empêcher que l’on construise ces abominables maisons à étages qui feraient une ceinture de pierres à la ville de Paris, alors qu’il lui faut une ceinture de fleurs ».
Dès la fin du XIXe siècle, les élites urbaines considèrent que le parcellaire parisien déborde pour recouvrir les limites du département de la Seine (80 communes), un territoire exigu de 476 km2, désigné dès les années 1910 sous le nom de “Grand Paris”.

« Jusqu’où s’étend aujourd’hui le vrai Paris ? Jusqu’où doit-il s’étendre demain ? Ce problème n’est pas simple. Toute grande ville est un peu comme l’ancienne Rome, et tend à se répandre sur l’univers. Paris, c’est l’ensemble de ceux qui vivent de sa vie […]. Partout où l’on trouve une proportion notable d’habitants qui travaillent à Paris, achètent à Paris, s’amusent à Paris, on est toujours à Paris. […] Où s’arrêter ? La solution la plus simple, c’est d’étendre la Ville jusqu’aux limites du département de la Seine. […] On peut le considérer comme le maximum d’audace compatible avec l’esprit de conservation. C’est pourquoi la première commission d’extension, en 1913, lui donnait ses suffrages. Insuffisant sur certains points, il représenterait cependant un progrès qu’on n’aurait jamais lieu de regretter. »

L’avenir de Paris, Albert Guérard, Paris, Payot, 1929.

Jean-Claude Nicolas Forestier, architecte paysagiste, conservateur des promenades de Paris, inventeur des roseraies de Bagatelle, réfléchit à l’idée d’un système de parcs à l’échelle de la métropole. Il dessine aussi un projet sur les fortifications à la hauteur de la porte Maillot qui consiste à en faire une avenue, avec quelques maisons, mais surtout avec une séquence de promenades, de pistes cyclables, d’allées cavalières avec cette notion de parkway, avenue promenade à l’américaine.
Roger de La Fresnaye figure en 1908 L’Allée des Acacias (actuelle allée de Longchamp), au bois de Boulogne qui évoque la douceur de vivre alliée à la modernité pour une certaine classe privilégiée de la Belle Époque.

1919 : grande étape dans l’histoire de l’urbanisme parisien

Le débat aboutit finalement en 1911 à des conventions par lesquelles l’État accepte de vendre à la Ville les terrains de l’enceinte. Elles n’entreront pas en activité avant la fin de la Première guerre mondiale, la situation étant gelée par celle-ci. L’enceinte est à nouveau partiellement occupée par les militaires, mais surtout par des jardinets qui contribuent héroïquement au ravitaillement de Paris. La Guerre de 14 marque le caractère totalement obsolète des nouveaux forts construits dans les années 1870, puisque la fameuse Grosse Bertha a une portée de 80 kilomètres qui les dépassent largement.

La démolition des “fortifs”

Lorsque la loi du 19 avril 1919 annonce la démolition des “fortifs”, une couverture photographique est prévue et Charles Lansiaux fait quelques 400 clichés (voir le chapitre “Les images” présentant les 35 kilomètres de fortifications juste avant ou pendant leur destruction). On peut s’apercevoir que ces travaux d’ampleur (faisant intervenir les premières pelles mécaniques !), qui requièrent une main-d’œuvre importante, des mouve­ments de matériaux impression­nants et donc des financements déraisonnables, se contentent rapidement d’un arasement de principe au lieu d’éradiquer les dix mètres d’élévation, à un niveau juste satisfaisant pour oublier cette démarcation et obtenir une large chaussée bientôt plantée d’arbres. Selon la configuration du terrain, les bastions sont parfois tout simplement remblayés au moins à mi-hauteur pour homogénéiser le terrain d’assiette des futurs aménagements.

Création des Maréchaux

Les conventions évoquées plus haut sont promulguées par une loi en avril 1919. Un nouveau dispositif est mis en place et va être réalisé. Le boulevard contre le mur est maintenu, mais élargi pour devenir les boulevards des Maréchaux. Sur l’emprise des fortifications que la ville achète à l’État et lotit ou revend, sont construites des habitations à bon marché et à moins bon marché et la zone est laissée disponible pour la construction de jardins et d’espaces libres. Le mouvement pour les jardins et pour les espaces libres qui s’exprime dans le congrès des sports en 1920, est déterminant pour le destin de cette enceinte.

L’apparition des HBM

Quelques mois après la fin de la Première guerre mondiale, les travaux de démantèlement et l’arasement du rempart démarrent et dureront environt dix ans. La muraille est alors évoquée avec une certaine nostalgie par Louis-Ferdinand Céline dans Mort à crédit en 1952 :

« Quand j’ai déménagé de Rancy, que je suis venu à la Porte Pereire, elles m’ont escorté toutes les deux. C’est changé Rancy, il reste presque rien de la muraille et du Bastion. Des gros débris noirs crevassés, on les arrache du remblai mou, comme des chicots. Tout y passera, la ville bouffe ses vieilles gencives. C’est le “P.Q. bis” à présent qui passe dans les ruines, en trombe. Bientôt ça ne sera plus partout que des demi-gratte-ciel terre cuite. »

Céline – Mort à crédit, 1952

Parcs contre habitations

L’architecte français Jacques Gréber, qui a travaillé aux États-Unis, imagine pour le concours de l’extension de Paris en 1919, un système de canaux, de jardins, un parkway et un grand boulevard planté.

Le boulevard militaire élargi par le projet d’aménagement n’a rien à voir avec ses hypothèses. Ce projet est élaboré en 1924 par Louis Bonnier, qui a déjà élaboré le plan d’extension de 1913 et qui a inventé le règlement d’urbanisme de 1902 en vigueur pendant presque 60 ans, qui est le règlement qui a sans doute le plus façonné les voies de Paris après Haussmann. Bonnier est aussi l’auteur de la magnifique piscine de la Butte aux cailles et des HBM de Ménilmontant. Avec Forestier, il élabore un projet d’aménagement qui définit l’occupation de tous les terrains de l’enceinte fortifiée. Il est également prévu la création d’un anneau de jardins qui va définir le destin de l’enceinte pendant des décennies, mais ne sera jamais totalement réalisé.

À l’entre-deux-guerres, la ceinture de HBM (environ 40 000 habitations) est réalisée. En revanche, la zone occupée par environ 15 000 habitations et 50 000 personnes (le dénombrement est difficile à faire) joue un rôle dans la vie politique parisienne. Chaque force politique défend ses électeurs de la zone car généralement les propriétaires votent à droite, et les occupants, quand ils votent, à gauche. Par ailleurs, ce terrain n’est pas sans valeur et la ville peine à acheter à l’État les terrains du rempart pour construire des habitations. Elle a encore moins les moyens d’acheter la zone. La situation va traîner et la partie rempart sera réalisée alors que la partie zone du projet sera retardée.